QU’EST-CE QUE LA VICTIMISATION ?
« La victime semble devenir une figure centrale de la société, une référence politiquement fondamentale, au détriment, par exemple, du héros ou du militant. [...] L’irruption de la victime dans nos sociétés a, selon certains auteurs, des effets pervers, notamment en générant une surenchère ou une concurrence des victimes. [...] La victimisation conduit en outre à une dépolitisation des débats, réduisant toute question à un affrontement binaire victimes-bourreaux. Elle est la conséquence de l’affadissement des oppositions idéologiques sur fond de dégradation des conditions de vie. Elle aurait alors une fonction conservatrice, empêchant que soit posée la question sociale, la souffrance des catégories populaires – qui n’entre pas dans le cadre des revendications victimaires – ayant pratiquement disparu des débats politiques. L’importance des manifestations de soutien à toutes sortes de victimes contraste ainsi avec la faible solidarité avec les grévistes ou les chômeurs, médias et classe politique se faisant les complices de ce glissement. [...] C’est ici que l’on commence à voir muter le discours sur la victimisation : il ne s’agit pas tant de produire une analyse constructive que d’occuper le terrain, de faire diversion, d’imposer un sujet pour mieux en évincer d’autres. »
Mona Chollet, Le Monde Diplomatique, septembre 2007